jeudi 3 mars 2011

Djerba (جربة)


Démographie[modifier]

Les habitants de Djerba, les Djerbiens, sont en 2004 au nombre de 139 5171, répartis sur trois délégations qui correspondent à trois municipalités aux fonctions très différentes8 :
  • Djerba-Houmt Souk, la ville de Houmt Souk étant considérée comme la « capitale » de l’île avec 44 555 habitants (64 892 habitants pour l’ensemble de la municipalité) ;
  • Djerba-Midoun, la ville de Midoun qui constitue le centre le plus proche des activités touristiques compte 30 481 habitants (50 459 pour l’ensemble de la municipalité) ;
  • Djerba-Ajim, la ville d’Ajim, plus en retrait par rapport à la dynamique insulaire, compte 13 950 habitants (24 166 habitants pour l’ensemble de la municipalité).
Répartition de la population
MunicipalitéArrondissementPopulation (2004)
Djerba Houmt SoukHoumt Souk44 555
Erriadh11 268
Mellita9 069
Djerba MidounMidoun30 481
El Mey9 131
Sedouikech6 280
Beni Mâaguel4 567
Djerba AjimAjim13 950
Guellala10 216
Sources : Institut national de la statistique1
Les habitants de l’île sont principalement arabophones même s’il s’y trouve une importante population berbérophone(Kutamas, Nefzas, Hawwaras, etc.). La plus grande partie de l’île est occupée par des villages d’origine berbère commeMezraya, Ghizen, Tezdaine, Wersighen, SedouikechAjim et Guellala où se parlait le tamazight, appelé également chelha, langue aux consonances explosives où la lettre « t » revient presque à chaque mot88. La tradition berbérophone est maintenue surtout par les femmes3,89. Il existe par ailleurs une petite et très ancienne communauté juive « pétrifiée dans les traditions hébraïques les plus anciennes »90 et qui descendrait des exilés de Jérusalem. Elle a vécu en vase clos pendant des millénaires90.
Une communauté d’origine arabe se serait installée à Djerba lors de l’invasion des Hilaliens. La population arabophone de l’île compte aussi une importante composante noire musulmane, d’origine principalement soudanaise, installée surtout à Arkou, non loin de Midoun91. Une communauté originaire du sud de la Tunisie (région de Beni Khedache) vit dans son propre quartier à Houmt Souk, Houmet Ejjoumaâ ou Chouarikh, et s’habille différemment des autres Djerbiens (en particulier les femmes)92. Dans son livre intitulé Djerba. L’île des LotophagesSalah-Eddine Tlatli dresse le tableau d’une cohabitation paisible entre des communautés cloisonnées :
« Ainsi, dans cette île-carrefour, les populations berbères, judéo-berbères, arabes, africaines islamisées, nègres, quelques Turcs et même de vieux pêcheurs maltais se sont donnés rendez-vous et ont vécu en bons termes mais sans se mélanger. La barrière religieuse, malgré la proximité des races, a constitué un obstacle quasi-infranchissable et les mariages, par leur caractère endogamique, ont permis de maintenir une certaine homogénéité ethnique93. »
Charles-André Julien, reprenant la classification de la population de la Berbérie orientale par Bertholon et Chantre, parle du type de Djerba comme de « petite taille, brachycéphale, mesorhinien, à cheveux bruns, yeux foncés, peau bistre en pigment jaunâtre »94. Quant à Salah-Eddine Tlatli95, il dépeint les « caractères ethniques » des Djerbiens « qui définissent un type humain à part en Afrique du Nord [...] La forme de leur crâne et leur taille : un crâne globuleux, massif, laissant à découvert un front bombé, limité par d’épais sourcils et des bosses pariétales accusées [...] Le corps est assez petit, trapu, musclé, avec de larges épaules [...] contraste avec les populations voisines. Les israélites ont des crânes plus allongés d’où la conclusion qu’il ne s’agit pas de Djerbiens judaïsés »96. Dans le même sens, des études menées sur la population de l’île concluent que le patrimoine génétique paternel des Juifs de Djerba est différent de celui de leurs voisins arabes et berbères97,98.
La population nombreuse et l’insuffisance des ressources locales, à l’origine de crises liées le plus souvent à de mauvaises récoltes, ont contribué à la mise en place d’un processus migratoire saisonnier et temporaire mais devenu petit à petit structurel et définitif56. La grande majorité des Djerbiens quittant leur île travaillent dans le commerce en raison de la position stratégique de leur lieu d’origine. Même si la grande majorité d’entre eux restent dans un premier temps en Tunisie, où ils détiennent une position dominante dans le commerce alimentaire et de détail56, les réformes du ministre Ahmed Ben Salah menées dans les années 1960, qui regroupèrent le commerce de détail en coopératives, poussent les Djerbiens à émigrer majoritairement en Europe et plus spécifiquement dans l’agglomération parisienne56,52. L’argent rapatrié par les Djerbiens vivant à l’étranger joue un rôle important dans l’économie de l’île52. La migration des Tunisiens du continent (majoritairement originaires des gouvernorats du sud et du centre-ouest du pays) sur l’île s’est progressivement accrue et ces derniers représentent désormais près de 45 % des habitants et 60 % des actifs56. Dans ce contexte, ils concurrencent progressivement les Djerbiens sur leur marché de l’emploi.
Compte tenu de l’espace limité, des maigres ressources de l’île et de la rigueur du rite ibadite, la tradition populaire veut que le Djerbien soit généralement connu comme un travailleur discipliné, rigoureux, parcimonieux61 et bon gestionnaire, de caractère plutôt réservé, calme et poli. Dans les familles ibadites, le fils même adulte ne fumait pas devant ses parents et la grand-mère gérait la famille d’une main de fer, ses fils, belles-filles et petits enfants lui devant obéissance. Frères et associés allaient faire du commerce à l’extérieur de l’île à tour de rôle99 afin que quelques hommes adultes restent travailler la terre avec les femmes, enfants et hommes âgés100.

Culture[modifier]

Musées[modifier]

Entrée du musée du patrimoine traditionnel de Djerba avec sa façade blanche.
Musée du patrimoine traditionnel de Djerba
Le musée des arts et traditions populaires de Houmt Souk est aménagé à la fin des années 1970 dans l’ancienne zaouïa de Sidi Zitouni101, un sanctuaire de style mauresque construit au xviiie siècle sous l’instruction du caïd de l’île Ben Ayed. Il abrite le cénotaphe du cheikh Abou Baker Ezzitouni, un savant théologien sunnite102. Ce musée permet de découvrir les richesses folkloriques de l’île : costumes de divers groupes sociaux, bijoux fabriqués par les artisans juifs, exemplaires du Coran ou encore ustensiles de cuisine. Le 17 décembre 2008, devenu musée du patrimoine traditionnel de Djerba, il a rouvert après des travaux d’extension et de réaménagement dans un ensemble comprenant, outre la zaouïa restaurée, un nouveau bâtiment de 2 000 m2 reprenant l’architecture traditionnelle de l’île101.
Entrée du musée de Guellala avec sa façade blanche.
Musée de Guellala
Le musée de Guellala, ouvert en 2001, expose également des collections sur le patrimoine djerbien. Avec plus de 4 000 m2 d’exposition, il offre une série de pavillons indépendants développant chacun un thème (fêtes, traditions et coutumes, artisanat, mythes et légendes, musique traditionnelle,mosaïques ou encore calligraphie arabe). Il reçoit environ 100 000 visiteurs par an dont 30 % de Tunisiens103.
Jemaâ Fadhloun, mosquée située à proximité de la route reliant Houmt Souk à Midoun et dont la fondation remonterait au xie siècle, a été transformée en musée permettant au visiteur de découvrir comment les mosquées ont servi de refuge aux habitants lors d’attaques et de sièges et leur permettaient de se défendre et d’assurer leur survie. Selon Kamel Tmarzizet, « cette mosquée forteresse a une surface totale de850 m2, dont une cour à ciel ouvert de 530 m2, deux entrées à l’est et au sud, plusieurs salles et des annexes, une école coranique, un moulin à grain, une boulangerie avec son four, un puits, une cuisine et plusieurs chambres, une grande salle de prière et un escalier qui mène au minaret » ; elle possède « de puissants murs adossés à l’extérieur par des contreforts massifs »104.
À proximité du phare de Taguermess, se trouve un parc à thèmes s’étendant sur douze hectares : Djerba Explore105. Il abrite un village traditionnel djerbien reconstitué, le Lella Hadhria Museum présentant quant à lui un panorama de l’art tunisien et du monde arabo-islamique, un circuit du patrimoine djerbien et la plus grande ferme aux crocodiles du bassin méditerranéen106.

Musique et danse[modifier]

La musique djerbienne traditionnelle se base essentiellement sur les percussions avec la darbouka (petit instrument utilisé par les hommes et les femmes) et le tabl107 (grand tambour cylindrique lourd à porter, utilisé exclusivement par les hommes108) ainsi qu’un instrument à vent autrefois nommé ghita et de plus en plus appelé zoukra ou zurna, utilisé uniquement par les hommes. Les rythmes sont généralement lents et mélodieux ; l’un d’entre eux est la chala spécifique à l’île109. Le mezoued a été introduit sur l’île plus récemment, avec notamment les chanteurs Hbib Jbali et Mahfoudh Tanish.
Groupe de quatre musiciens djerbiens jouant (de gauche à droite) du bendir, de la zoukra, du tabl et du darbouka.
Groupe de musiciens djerbiens
Le chant à thème occupe une place de choix : les chansons racontent généralement une histoire romantique, le plus souvent triste et nostalgique ; les paroles sont parfois osées, surtout lorsqu’il s’agit d’histoires d’amour. Beaucoup de paroliers sont des femmes, ce qui pourrait s’expliquer par le fait que l’homme s’expatriait traditionnellement pour faire du commerce alors que la femme restait sur l’île, loin de son conjoint, pour s’occuper de la terre, des enfants et des personnes âgées.
Le rythme de la danse folklorique djerbienne est différent de celui de la plupart des autres danses folkloriques tunisiennes ; il est plutôt lent et l’on danse généralement les pieds à plat sur le sol alors qu’ailleurs en Tunisie le rythme est souvent rapide et l’on danse en demi-pointe. Le gougou, danse folklorique de la communauté noire de l’île d’origine d’Afrique subsaharienne depuis plusieurs générations110 et qui dispose de son propre patron (Sidi Sâad), est quant à lui une musique et une danse, effectuée avec des bâtons et accompagnée de chants et de tabl, commençant par un rythme lent qui s’accélère progressivement pour finir par des mouvements endiablés111.

Festivals et événements[modifier]

Djerba organise plusieurs festivals tout au long de l’année. Ils sont notamment destinés à faire découvrir les multiples facettes de la société djerbienne.
Le Festival international Djerba Ulysse (juillet-août)112 invite des musiciens et des groupes de théâtre et organise parallèlement des activités et des animations qui visent à valoriser et identifier le patrimoine local. Dans le même but, le Festival de la poterie de Guellala propose un programme culturel qui permet de faire découvrir la créativité des potiers du village de Guellala, situé dans le Sud de l’île.
Le Festival des musiques des îles du monde et du film insulaire accueille des groupes de musique venant de diverses îles à travers le monde pour présenter une variété de chants et de musiques insulaires. Des projections de films documentaires à caractère insulaire sont également au programme. Organisé par le comité culturel de Houmt Souk et la maison de la culture Férid-Ghazi, le Festival Farhat-Yamoun de théâtre et d’arts scéniques présente un programme de spectacles théâtraux.
Le Festival de plongée et de voile traditionnelle, qui se tient chaque été dans la ville d’Ajim, est un événement culturel et sportif faisant découvrir la méthode de plongée des pêcheurs d’éponges et organisant des courses de felouques, de même que des compétitions d’autres sports nautiques.
On peut mentionner également le Festival du film historique et mythologique (juillet-août), la régate de planche à voile (septembre) et le Festival des marionnettes (novembre)112.

Religion[modifier]

Vue arrière de la mosquée des Turcs à Houmt Souk avec son minaret de style turc.
Mosquée des Turcs à Houmt Souk
Mosquée souterraine de Sedouikech vue de la surface avec ses deux coupoles et son unique entrée ouvrant sur l’escalier.
Mosquée souterraine de Sedouikech
C’est l’islam sunnite de rite malékite qui prédomine en Tunisie, bien qu’il existe une petite communauté pratiquant le rite sunnite hanéfite qui était suivi par la cour beylicale et certaines familles d’ascendance ottomane113. Tel n’est guère le cas à Djerba où une grande partie de la population pratique un rite kharijite non sunnite, schisme comparable au jansénisme. Les kharijites refusent aux hommes, même au calife, le droit d’interpréter les textes sacrés et préconisent un strict respect des textes, une vie sobre et une égalité parfaite entre tous les musulmans22 :
« Le kharijisme a subsisté dans deux communautés berbères au Mzab en Algérie et à Djerba, ils ne sont jamais entrés en lutte ouverte avec les orthodoxes qui les entourent114. »
En fait, il existait à Djerba deux rites kharidjites : le rite ibadite, apparu en 654 et prêché par Abdullah ibn-Ibad at-Tamimi, présentant des analogies avec le rite hanéfite, et le rite dit wahhabite, un rite attribué à un musulman d’origine persane de la tribu des Beni RostomIbn Rustom, et fondé vers 782. Cependant, ceux-ci sont aujourd’hui confondus, surtout que la plus grande partie des ibadites (appelés Nakkaras) s’est convertie au malékisme115. Il existe quelques différences dans le rituel de la prière entre ibadites et malékites116, ces derniers appelant les premiers ouheb ou kwames en référence aux quatre rites musulmans sunnites orthodoxes.
Les ibadites ayant résisté au pouvoir central du bey tenaient à affirmer leur autonomie en formant des alliances avec les ibadites de Tripolitaineet du sud de l’Algérie (Ghardaïa). Fréquemment, ils résistaient au paiement des impôts et se soulevaient. Ainsi, l’introduction du rite malékite sunnite sur l’île a été encouragée par le pouvoir à Tunis, d’abord dans la localité de Houmt Souk, au travers des érudits et des théologiens venant de l’extérieur de l’île comme Sidi Bouakkazine, Sidi Aloulou, Sidi Brahim El Jemni ou Sidi Abou Baker Ezzitouni102. Ceci pourrait expliquer l’existence d’un certain antagonisme entre habitants ibadites d’origine berbère et habitants de rite malékite117. À quelques kilomètres de Sedouikech, en direction d’El Kantara, se trouve l’une des mosquées souterraines de l’île, Jemaâ Louta (mosquée qui daterait du XIIe ou du XIIIe siècle)118, où les ibadites se réfugiaient pour pratiquer leur culte. Entourée d’une oliveraie, on y accède par un escalier très raide et étroit qui conduit dans la chambre principale. À côté de cette mosquée se trouve un grand réservoir qui alimente un puits également souterrain. Une autre de ces mosquées souterraines se trouve sur la route d’Ajim. Comme elles ne sont plus utilisées pour le culte, ces mosquées souterraines peuvent être visitées librement.
Les mosquées ibadites ont une architecture particulière116 et il n’est possible d’accéder au minaret qu’en passant par la salle de prière. Par ailleurs, plusieurs mosquées et zaouïas (Djerba en compte plus de 300) ont été construites le long des côtes de l’île comme Sidi Zaied, Sidi Smael, Sidi Mahrez, Sidi Yati, Lalla Hadhria, Sidi Garous, Sidi Jmour119, etc. Elles servaient de garde-côtes et permettaient de signaler l’arrivée d’amis ou d’ennemis, dont des pirates et corsaires, par un système de fumées destiné aux habitants de l’île qui allaient s’abriter du danger éventuel. Certaines mosquées étaient construites comme des petites forteresses (comme Jemaâ Fadhloun) et disposaient d’un four et de citernes d’eau, ce qui permettaient de résister quelque temps aux attaquants. Jemaâ El May, classée comme monument historique, est l’une des mosquées les mieux fortifiées de l’île120. En évoquant les mosquées de Djerba, Salah-Eddine Tlatli a dit que « les mosquées les plus modestes ont la candeur naïve et le charme d’un château de sable sorti d’un rêve d’enfant »120.
Salle principale de la synagogue de la Ghriba avec ses couleurs bleutées.
Intérieur de la synagogue de la Ghriba
L’île abrite également une petite communauté juive qui comptait autrefois plusieurs dizaines de milliers d’individus spécialisés en majorité dans des métiers artisanaux (bijouterie, cordonnerie, couture, etc.) mais pratiquant également le commerce. Elle y vit depuis des siècles en bonne entente avec la majorité musulmane malgré le déclin démographique engendré par l’émigration vers Israël dès 1948 et vers la France après1956 (date de l’indépendance de la Tunisie), 1961 (crise de Bizerte) et 1967. La synagogue de la Ghriba, située dans le village d’Er Riadh (Hara Sghira situé à neuf kilomètres au sud de Houmt Souk), est très ancienne et très célèbre. D’après les rabbins locaux, même s’il existe d’autres versions, « les Juifs arrivés sur l’île auraient apporté avec eux certains manuscrits des Tables de la Loi qu’ils auraient sauvé des ruines du Temple de Jérusalem détruit par Nabuchodonosor et même certaines pierres du Temple sur lesquelles ils auraient bâti le sanctuaire »121. Cette synagogue attire tous les ans, trois semaines après la Pâque juive, des pèlerins de partout mais surtout d’Europe et d’Afrique du Nordqui « transportent en procession sur leurs épaules, hors de la synagogue, les Tables de la Loi, sous un lourd baldaquin multicolore qu’ils promènent »121 aux alentours. Plusieurs autres petites synagogues se trouvent à la Hara Kbira, principal quartier juif de l’île situé à Houmt Souk.
Au début du xxe siècle, Djerba comptait, parmi une population d’environ 40 000 personnes, plusieurs centaines de catholiques français,italiensgrecs et maltais122. Ces derniers gagnaient leur vie, entre autres, comme artisans ou pêcheurs de poisson et d’éponges. L’église de culte catholique Saint-Joseph de Djerba, de style maltais, a été fondée en plein centre de Houmt Souk en 1848 ou 1849, par un prêtre de la mission Saint-Vincent de Paul aidé par l’évêque Gaetano Maria de Ferrare123 ; elle a été rouverte officiellement au culte et consacrée le19 mars 2006. Il existe également une église grecque orthodoxe fondée vers 1890, dédiée à saint Nicolas, patron des pêcheurs, et située à proximité du port de Houmt Souk. Cette église fut construite à l’époque où une communauté grecque s’installa sur l’île ; elle était constituée principalement d’artisans et de pêcheurs, en particulier de pêcheurs d’éponges.

Gastronomie[modifier]

Avant l’essor touristique, les Djerbiens cultivaient du blé, de l’orge, du sorgho124 et des lentilles qui constituaient la base de leur alimentation. Le couscous d’orge (malthoutha) aupoisson ou à la viande séchée et conservée dans de l’huile d’olive (dhan)125 et les petits anchois séchés (ouzaf)126 sont des spécialités de l’île. La zammita124, une préparation à base d’orge grillé, de fenugrec et d’épices, est pour sa part consommée par les Djerbiens au petit déjeuner, au goûter voire en repas principal, accompagnée de légumes crus ou en salaison(oignons verts, navetscarottes ou poivrons) ou de fruits (raisins ou grenades127). Le sorgho est consommé en gâteaux, entremets (sahlab et bouza) ou bsissa.
Vendeur de poisson assis sur le trottoir et appuyé contre le mur ; la marchandise est déposée à ses pieds.
Vendeur de ouzaf sur un trottoir
La gastronomie djerbienne plutôt frugale varie toutefois d’une localité à l’autre même si la cuisson à la vapeur qui aurait été préférée par les anciens Berbères y prédomine. Ainsi, pour le couscous djerbien, la semoule est-elle cuite à la vapeur ainsi que le poisson ou la viande et les légumes assaisonnés d’épices124. On utilise alors un couscoussier en terre cuite à deux étages, typique de l’île, appelé keskess bou rouhine. Le riz djerbien est également cuit à la vapeur : viande, foie et légumes sont émincés, assaisonnés et mélangés au riz légèrement trempé à l’avance, l’ensemble étant ensuite cuit à la vapeur. Plusieurs variétés de farines de céréales et de légumes secs (orge, sorgho, blé, lentilles, pois chiches, fenugrec, etc.) assaisonnées d’épices et d’herbes appelées bsissa sont préparées et conservées pour être consommées naturelles, salées ou sucrées avec de l’huile d’olive, des fruits ou légumes frais, des dattes ou des figues séchées.
Les Djerbiens sont aussi friands de poissons, de poulpes (frais ou séchés128), de seiches et de calmars ; ces derniers farcis d’herbes permettent de préparer un plat de couscous ou de riz. Les ouzaf124,129 constituent un condiment de choix, en particulier dans la préparation du mchelouech bil ouzaf130 et du mesfouf djerbien (couscous peu arrosé de sauce, bien épicé et riche en herbes dont le yazoul ou gazoul)131ou du s’der (soupe de semoule).
Le séchage de la viande est pratiqué sur toute l’île : la viande coupée en tranches fines (kadid) est assaisonnée de sel et enduite d’huile (afin d’en éloigner les mouches), séchée ausoleil puis bouillie dans l’huile d’olive (m’selli), conservée (d’hane) et utilisée pour la préparation de plats typiques132. La glaia, viande cuite et conservée dans de la graisse de mouton et assaisonnée de curcuma, de sel et de poivre, peut également se conserver pendant un ou deux mois ; elle s’accommode notamment avec des tomates, poivrons et œufs et se mange avec du pain ou une bouillie épaisse de farine d’orge (bazine ou iche) ou de blé (assida).
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La pâtisserie traditionnelle djerbienne est en revanche relativement pauvre. Les boissons typiques sont le legmi (sève de palmier qui se transforme en vin de palme dans la journée compte tenu d’une fermentation naturelle très rapide) et le l’ban (lait fermenté ou petit-lait). Le thé vert à la menthe ou le thé noir parfumé aux feuilles d’une variété de géranium (atr'cha) se boit bien sucré, aussi bien après qu’entre les repas.

Croyances et légendes[modifier]

La superstition et ses mystères, comme les méfaits de l’envie et le mauvais œil, tiennent une grande place dans les croyances populaires133 et beaucoup ont longtemps existé sur l’île : les Djerbiens considéraient ainsi le mercredi comme une journée néfaste pendant laquelle il ne fallait rien entreprendre, pas même un mariage ou la visite d’un malade. Le chiffre cinq et ses multiples sont prononcés pour éloigner le mauvais sort ou les influences négatives, d’où l’usage de la khamsa ou main de Fatima134. Le septième jour est quant à lui célébré en cas de naissance ou de mariage et le quarantième jour en cas de naissance et de décès. Le poisson est considéré comme un porte-bonheur et éloigne le mauvais œil135 : il est représenté sur les bijoux134 et utilisé couramment dans la décoration des intérieurs, un petit bijou représentant un poisson est accroché presque systématiquement aux habits des nouveau-nés. Il existait aussi plusieurs journées dans l’année appelées moussem au cours desquelles on portait un repas de viande ou de poisson aux mosquées136 ou aux voisins les plus pauvres137.
Les Djerbiens croyaient également en l’existence de la khiala, comme celle de Hammam El Ghoula138fantôme d’une très belle femme qui apparaît à ses victimes, les ensorcelle et les emporte pour les libérer sains et saufs après un ou plusieurs jours, le revenant ne se souvenant en principe de rien. Était-ce une façon par laquelle la sagesse populaire justifiait des fugues139 ? On croyait également que les âmes des morts rôdaient autour des cimetières durant la nuit et pendant les heures les plus chaudes de la journée. On racontait aussi aux enfants que pendant ces mêmes heures, une vieille et méchante femme (azouzat el gaila) attrapait les enfants qu’elle trouvait dans la rue et les dévorait. Les enfants étaient également terrifiés par l’idée d’être attrapés par l’un de ces « messieurs » à la recherche d’enfants avec des signes particuliers dont le sacrifice leur permettrait de trouver un trésor enfoui. Le painétait vénéré et jamais jeté avec les ordures : si l’on devait en jeter un morceau, il fallait d’abord l’embrasser puis le poser dans un endroit propre, de préférence surélevé, afin qu’un pauvre ou un animal pût le trouver propre. On racontait que lorsqu’on observe la lune, on y voit une femme pendue par les paupières parce qu’elle a utilisé un morceau de pain pour toucher son enfant. Les Djerbiens croient aussi que cela porte malheur de compter les gens et que le fait que les chaussures se superposent en les enlevant ou en les rangeant est un signe précurseur de voyage. Si en revanche, les chaussures se renversent, il faut tout de suite les retourner ou Satan (echitan) fait sa prière dessus140.
Par ailleurs, l’expatriation de l’homme djerbien est à l’origine de croyances que la sagesse populaire a préservé pendant des générations comme le fait qu’un fœtus puisse être porté par la mère pendant plusieurs années et naître en l’absence du père (erraged)100.
Façade de la mosquée Essatouri vue de l’extérieur et coiffée d’une coupole ; trois arbustes sont plantés au premier plan.
Jemaâ Essatouri
Des croyances et légendes entourent certaines mosquées dont Sidi Zitouni — appelé aussi Koubet El Kheiel ou dôme du fantôme en raison de la légende qui l’entoure102 — et Jemaâ El Guellal situées à Houmt Souk, Sidi Zikri141 mais aussi Jemaâ Sidi Salem Essatouri, Jemaâ Sellaouati et tant d’autres. On raconte que Sidi Satouri, paysan modeste, possédait un lopin de terre isolé et difficile à travailler. Après une journée de dur labeur, il s’arrête en pleine route pour faire sa prière lorsqu’un riche cortège de mariage tente en vain de l’interrompre. Sa prière achevée, il se rend compte que le cortège a été pétrifié sur place142. De retour au village, il raconte son aventure aux villageois qui, incrédules, se rendent sur place et, voyant le cortège transformé en pierres, considèrent Sidi Satouri comme un saint et édifient une mosquée sur le lieu de son aventure22.
La légende des Sallaouta, installés dans la région de Mezraya, raconte que ceux-ci décidèrent de construire une mosquée, choisirent l’emplacement et commencèrent à en creuser les fondations. Le lendemain, en retournant vers leur chantier, ils aperçurent sur une surélévation un pilier en marbre de douze pans qu’aucune main humaine n’aurait pu placer à cet endroit. Ils virent là un signe divin, ajoutèrent trois colonnes de pierre et du mortier et bâtirent la mosquée appelée Jemaâ Sellaouati22. Beaucoup d’autres croyances existent comme celle de Lalla Thala qui guérirait du trachome et aiderait à trouver l’âme sœur143, celle de Sidi Marcil (saint Marcel) qui soignerait la stérilité des femmes82 ou celle de Maamouret Aghir qui guérirait les maladies de la peau et rapprocherait les amoureux séparés81.

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